jeudi 23 août 2018

EmbrunMan

3h15. Réveillé 15min avant le réveil. Les réveils même. J'en ai mis 2, ça serait trop bête d'être en retard. Mais le corps a ceci de magique que son horloge interne est plutôt précise et sait prendre les choses en main quand il le faut.
En forme. Bien en forme. La journée va être très très longue. On commence très tôt ce matin, et l'on va sûrement finir tard ce soir.
Je me lève discrètement pour ne pas réveiller toute la famille et me faufile pour aller manger mon petit déj spécial pré-compétition. Je vais franchement bien. Tous les voyants sont au vert.
Je rejoins vers 4h du matin un autre compétiteur dans le hall de notre résidence vacances. Philippe, un autre vacancier qui le fait également.
On part pour faire le kilomètre qui nous sépare du parc à vélo, à pied, avec notre caisse d'affaire, pas forcement simple à transporter, mais si particulière à Embrun.
Tout est calme, il fait bien nuit.
On finit par rejoindre quelques autres triathlètes en chemin également. C'est toujours une ambiance particulière ces matins de course. 4h15 et une petite procession de sportifs déjà plus ou moins dans leur bulle, en direction du parc vélo.
On y arrive. On y entre après quelques contrôles, et me voilà à ma place. 4h30, encore 1h30 avant le départ, mais je voulais arriver tôt pour prendre le temps de m'installer, préparer toutes mes affaires sereinement, et surtout profiter de ce moment de calme avant le grand voyage.
Le triathlète à ma gauche est plutôt stressé. Se pose plein de question. A ma droite, c'est différent. C'est Robin Pasteur, du haut niveau, qui sortira premier de la natation, finira 6ème à vélo, mais malheureusement abandonnera sur le marathon. Un journaliste viendra d'ailleurs l'interviewer avec caméra et lumière 1h avant le départ.



Je pense avoir tout préparé. Je vérifie. Sacré logistique quand même toute la nutrition pour une épreuve de cette durée. J'en profite pour aller voir si Philippe est également bien et tente de croiser un ancien du club, Loïc.

Les minutes sont passées à grande vitesse. Déjà 1/2 heure du départ, je décide de mettre ma combi car la température du petit matin : 11°C est bien fraiche. Ciel encore noir mais totalement dégagé. Journée très chaude en perspective.
5h50, les filles partent déjà. Les spectateurs commencent à faire du bruit. Le temps file à vive allure.
Je me positionne dans le sas de départ, archi plein. 1150 partants. Ca fait du monde.
Katia la femme de Philippe a réussi à se lever et à se faufiler sur le côté pour nous prendre en photo. Une petite pause, dernier moment de détente et convivialité, avant ce fameux départ.
J'espère que ça va rester calme malgré le nombre, malgré la nuit. J'ai toujours peur des crampes en natation sur ces durées de nage, et ça serait dommage qu'elle vienne me gâcher le reste de la journée.



Bim, c'est parti. Ce n'est pas la natation ma partie préférée. La suite va pourtant montrer que c'est un tout petit morceau dans cette longue journée. Pratiquement une anecdote.
2 tours à faire. Je pars très tranquillement. Mouvements amples. On s'économise, on respire bien. Les spectateurs sur les berges, tout le long du parcours, le soleil qui se lève sur les montagnes, quelques algues montantes qui s'accrochent dans les mains, beaucoup de choses qui viennent agrémenter ce premier tour et qui le font passer à la vitesse grand V. Pas vraiment de problème d'orientation, la clarté du jour est déjà assez forte. Pas de coup entre les triathlètes, on sent bien que tout le monde part pour une longue aventure, la natation reste calme.
J'attaque le 2ème tour, déjà 1900m. Il parait un peu plus long, mais là encore la lumière du soleil qui se lève, le calme du lac, c'est agréable. L'eau était annoncée à 20/21°C, je n'ai pas froid. Pas de début de crampe non plus, tout est au beau fixe.
Le retour vers la berge traine un peu en longueur, mais je me sens bien, et je pense être dans mes temps.
Je remonte sur la berge, regarde ma montre. Verdict, 1h22. C'est bien ça. Avec 100mètres de trop, ce qui correspond bien à mon premier tour fait un peu trop à l'extérieur des bouées.

Natation : 1h22'10'' : 842ème / 1134 partants

Et oui, avec ce temps, je me classe relativement moins bien que dans mes autres IronMan. Le niveau ici est élevé. Pas de petit joueur dans le parc.
Pour cette première transition, je vais prendre mon temps. Le temps d'enfiler mes manchettes, de boire, de prendre mes barres énergétiques, de vérifier le tout. Malgré ces plus de 6 minutes, je gagne quelques places, les transitions sont lentes à Embrun (en tout cas dans cette partie du classement ;) ).

T1 : 6'10'' : 490ème/1134, classement à l'issu de T1 : 788ème (gain de 54 places)

C'est parti. Tranquillement, car à Embrun, on part directement sur une belle ascension. Je me fait doubler de partout. C'est dingue. Je regarde ma puissance pour me rassurer. Je suis bien dans les cordes. Légèrement au dessus de la cible, mais normal puisque l'on monte. Je décide de garder la tête froide, et de laisser ces vélos partir, on les reverra sûrement ensuite.
Content des passages au soleil qui réchauffent, moins agréable à l'ombre dans la fraicheur du matin.
Mais quels paysages. C'est extraordinaire. Je profite. Je me régale les yeux. J'avais décidé de prendre ce vélo comme une grande ballade, c'est ce que je fais.
La première longue descente, pas trop technique. Je me découvre quelques talents de descendeurs puisque je double pas mal. Sans avoir l'impression de prendre trop de risque. Les freins à disques y sont sûrement pour quelquechose, car j'ai vraiment la sensation de bien maitriser le freinage. Pas de surprise, très progressif, et très efficace. Il est vrai que contrairement à beaucoup, je n'ai pas fait de stage en montagne, si ce n'est le half AltriMan. Mais cela m'a suffit, au moins pour trouver mes repères dans les descentes ;)
Après cette première boucle de 40km, nous revenons sur Embrun, avec un passage dans la ville digne du tour de France. Des spectateurs partout, hyper motivés. C'est top. Et l'on va en avoir besoin.
S'en suit une très longue route pour aller rejoindre l'Izoard. Route superbe. Les gorges du Guil sont un régal pour les yeux. Encaissées, on ressent un peu de fraicheur ce qui commence à être précieux à ce stade de la journée où la chaleur commence à se faire ressentir. Côté hydratation et alimentation, je suis mon protocole à la lettre, et ça passe très bien. Jusqu'au pied de l'Izoard (80km), je suis très en forme, très bonnes sensations, puissance respectée, paysages superbes, le top.
Puis on rentre dans l'ascension. 15km à plus de 8% de moyenne. Chaque kilomètre est annoncé avec son pourcentage moyen. Ils se suivent, et durcissent. On pense toujours en trouver un plus facile, et les indications nous prouvent le contraire. Le plus dur est annoncé à 8,9% de moyenne sur 1 kilomètre. C'est énorme à ce stade. Néanmoins, ça passe bien. Pour le coup la tendance s'inverse. Je commence à doubler pas mal de monde. J'en vois même un à pied à côté de son vélo. Ca m'étonnerait qu'il aille au bout. Le paysage est encore une fois magnifique. Je croise un membre du TCN, Charly, durant l'ascension qui m'encourage et prend quelques photos. Sympa, toutes ces petites choses font énormément de bien.




Enfin le haut. Plein de monde partout. Ca s'affaire autour des sacs de ravitaillement. Mon numéro est annoncé, le sac arrive, les bénévoles sont efficaces. Je mange mon petit sandwich saucisson/Saint Moret, en discutant avec le bénévole qui est lui même triathlète. Il me dit qu'il a de quoi faire pour sa saison prochaine avec toutes les barres énergétiques laissées par les compétiteurs. Il est impressionné. Pour ma part, je prends bien tout, positionne mon coupe-vent, et me lance dans la descente sur Briançon.
Géniale la descente. Je rattrape les voitures. Les double sans difficulté. Des kilomètres gratuits sans pédaler. Je tourne juste un peu les jambes pour ne pas les garder immobiles. C'est tip top.
L'arrivée sur Briançon rime avec un retour à des vitesses normales. Et débute le long, très long retour vers Embrun. A ce stade, il reste 90km. Moins de la moitié du parcours. Mais la fatigue, la chaleur et le vent, sont des paramètres qui deviennent de plus en plus présents.
Ce retour est plus classique sur les paysages. Et peu de spectateurs. Hormis sur la côte  du Pallon, mur à 11/12% de 2 km, qui vient faire très très mal à ce stade de la course.
Petit à petit, je subis un peu plus. Mais chose plus grave, dont je ne prendrai conscience qu'après la course, je suis moins scrupuleusement mon plan d'alimentation et d'hydratation. Erreur de débutant...
Le retour est long, les passages contre le vent assez terribles psychologiquement. L'arrivée sur Embrun est cruelle, car il faut à nouveau repartir dans l'ascencion du Chalvet qui fait très mal à ce stade de la course. J'ai mal partout : aux fesses, aux cervicales, aux épaules. Je ne sais plus très bien comment me positionner sur le vélo. D'autant plus que la descente vers Embrun est de très mauvaise qualité et raisonne dans tout le corps. Plus de 8h sur le vélo, je n'ai jamais fait cela avant.
Enfin arrive, réellement le retour vers Embrun et le parc vélo. Je me demande vraiment comment je vais réussir à courir après cela.




Ambiance folle à l'arrivée, je descends doucement de mon vélo, et ..... ça va plutôt pas mal pour marcher. Etonné.

Vélo : 8h52'56'' : 817/1134, classement à l'issu du vélo : 803ème (perte de 15 places) 

Au final, peu de changement au classement. Les nombreux vélos qui m'ont doublé au début ont été compensés par ceux de l'izoard. Et durant le retour, je pense avoir doublé autant que l'on m'a doublé.
1km/h de moins qu'initialement imaginé, mais franchement, impossible de prévoir sa vitesse moyenne sur un tel parcours.

Dans le parc, 1 kiné me propose un massage, j'hésite un peu et j'acquiesce. C'est assis sur ma chaise de transition, pendant que je bois un peu de Saint Yorre, lâche mes affaire vélo et prends celle de course à pied, que les 2 masseurs s'occuperont de mes mollets et quadri. Très efficaces, très rapides. Bien fait de dire oui :).

T2 : 5'28'' : 347/1134, classement à l'issu de T2 : 795ème (gain de 8 places)

Je me lance dans le marathon. Je ne l'envisage pas vraiment comme un marathon. Mais comme trois boucles. Une première pour découvrir. Une deuxième qui sera sûrement dure et une troisième pour dire au revoir et profiter. Je suis heureux, tout d'abord parce que je sais que je vais voir toute la famille. Ensuite, parce que mes jambes répondent présentes. Je reste néanmoins sur une allure raisonnable, je force à me freiner. Sur les bases d'un marathon en 4h/4h30. Ca serait énorme.



Je vois mes supporters sans faille. C'est top. Ils ont l'air de bien s'amuser autour du lac. Il y a déjà beaucoup d'athlètes qui courent. C'est animé. Sans m'en rendre compte, je vais continuer à creuser mon manque d'hydratation débuté sur la deuxième partie vélo. Il fait très chaud, mais le vent trompe le ressenti. Même les éponges pour me rafraichir me paraisse trop fraiches et me fond grelotter (signe qui aurait dû m'alerter). Je vais faire le premier tour (14km), plutôt bien, profitant du parcours, des spectateurs, super nombreux. Je vais également croiser JP, un pote du club, en vacances ici en famille, qui va faire un petit bout de chemin avec moi sur son vélo. Sympa.



Petit à petit, je m'enfonce. D'ailleurs, je ne me souviens plus bien de ce passage fin du premier tour/début du deuxième. Juste la 2ème rencontre avec la famille. Nathan, mon ainé qui court avec moi. Qui me parle, mais à qui je n'arrive pas à répondre. L'esprit a lâché depuis quelques temps déjà. Petit à petit. Sans que je m'en rende compte, mais assez pour me faire faire de grossières erreurs d'hydratation et d'alimentation. C'est vers le 16ème, alors que JP m'a à nouveau rejoint, que la sanction tombe. Ca tourne. Plus du tout de force. Je n'arrive même plus à marcher. Moralement c'est un très gros coup, parce qu'à ce moment là, il me reste 26km à faire, et je sais que dans cet état, je n'y arriverai pas, même en marchant. Et je ne vois pas comment m'en sortir. JP tente de me rebooster, me remonter le moral. Je me souviens bien lui avoir dit n'avoir jamais abandonné. Et que ça me faisait mal de me dire que ça allait sûrement être la première fois. Ici. A Embrun. J'atteints le ravitaillement, comme un zombi. Je m'assois. Ca va mal. Très mal.
J'essaye de m'alimenter mais rien ne semble aller. Je vais rester assis quasiment 1/2 heure. Les bénévoles me demanderont s'il faut prévenir les secours. Dans un dernier souffle d'espoir je leur dis que non. Et décide d'attendre, pour voir. Je me force à boire. Et là, le corps se rebelle. Je rends tout ce que j'ai pris sur cette dernière demi-heure. Et ça me fait un bien fou. Rébellion qui sonne le coup de mieux. La possibilité de boire à nouveau. La possibilité de marcher à nouveau. Et petit à petit, la possibilité de courir à nouveau. Je me remets à dépasser pas mal d'autres coureurs, en galère également. Dans ces moments là, la présence du public est primordiale. JP m'aura également porté à bout de bras avec ses encouragements, ses conseils positifs. On sent que les spectateurs encouragent "vraiment" les coureurs. Sûrement lié à l'état dans lequel ils nous voient. Je vais boucler le 2ème tour en remontant la pente. Mes 3 enfants feront 1 kilomètre et demi avec moi dans le début du 3ème tour. Top. J'arrive à leur parler. Ca va beaucoup mieux. J'indique à ma femme le coup de chaud que je me suis pris sur la tête. J'ai désormais l'esprit à peu près clair. Il reste 1 tour, 14km, je sais que ça va le faire.
Ce dernier tour sera plus calme. Les spectateurs moins nombreux, la nuit qui tombe rend difficile la progression en dehors d'embrun. Mais le retour le long de la Durance, alors que l'on s'approche de l'arrivée, est carrément magique. Des spectateurs partout. On tape dans la main de pleins d'inconnus. J'en profite. J'en profite au max. Je leur communique mon bonheur de finir. Lâchant quelques larmes de joie. 400m avant l'arrivée, Nathan et ma femme qui m'encourage une dernière fois. Ca y est, je vois l'arche d'arrivée. 15h57. C'est dingue. Parti de nuit, arrivée de nuit. Mais tellement content d'y être arrivé. Quelle épreuve ! Quelles sensations ! Génial !


Marathon : 5h30'30'' 751ème/1134, classement final : 769ème (gain de 26 places)

Après l'arrivée, je rejoins mon fils et ma femme pour discuter avec eux. La folie de la journée. La beauté et la difficulté du vélo. L'enfer du coup de chaud. Les doutes. Et finalement, l'arrivée. Heureux.
Je les laisse pour rejoindre ma chaise dans le parc, m'assoie tranquillement, et admire le feu d'artifice qui démarre au même moment sur l'autre rive du lac à Savigne. Topissime !



9 commentaires:

  1. que de courage Aurélien. Félicitation et bonne rentrée à vous cinq, nous vous embrassons martine et rémy

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  2. Bravo Aurelien. Belle preuve de courage et de mental de sportif. Prend le temps de bien récupérer.
    Franck

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  3. bravo pour le mental, tu as bien dégusté mais résisté! As te lire j'ai vécu une ballade tranquille alors que c'était franchement pas facile! Une journée qu'on oubliera pas.

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  4. Bravo pour ce récit, et bien écrit !
    Je m'y suis revu, avec globalement les mêmes horaires lors de mon 1er aussi, en 2003.
    J'y étais revenu en 2004 puis 2005, avec un chrono de 14h59 ! Comme quoi, quand on se connaît...
    Parti de nuit, rentré de nuit... Et j'ajoute "et même pas vu l'jour !"
    Bonne suite à toi !
    www.fabricepion.com

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    1. Merci Fabrice. J'y retournerai un jour, c'est sur ;)

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  5. et voilà Aurélien, je t'avais bien dit que Tu y arriverais ! et pour la chaleur, je t'avais aussi prévenu que c'était le pire ennemi à Embrun. bravo, te voilà un "vrai" triathlète. rdv l'an prochain à laltriman ��
    la Tortue

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  6. 15h57 d'efforts sans interruption, c'est inimaginable !!!
    On doit surement sortir changé d'une telle épreuve ;-)
    Bravo Totor !!!
    A+,Baz.

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